Le chef de l’État Qais Saeed, depuis le siège du ministère de l’Intérieur, vers 23 heures le 8 mars 2022, a déclaré la guerre à la spéculation et au monopole qui frappent les approvisionnements d’Al-Qaïda. Le président Kais Saied a montré dans son discours qu’il menaçait les spéculateurs en promettant un nouveau décret pour réglementer les circuits de distribution et ainsi préserver le pouvoir d’achat des populations et assurer la fourniture de produits subventionnés à des prix restreints.
Il est incontestable que la Tunisie souffre depuis des décennies d’un problème structurel majeur dans les circuits de distribution des produits de base et agricoles. Pendant des décennies, divers gouvernements ont réussi à endiguer cette hémorragie, ce qui signifie que les deux extrémités de la chaîne paient un lourd tribut. Souvent, l’agriculteur et le producteur sont contraints de vendre à perte, tandis que le consommateur final est confronté à des prix déraisonnables. Il est clair qu’une telle composition, secouée par des crises économiques intérieures ou des influences internationales, ne peut être viable.
Le Président de la République a mille fois raison d’aborder ce problème et de se poser la question. Cependant, il donne de mauvaises réponses. Premièrement, le ministère du Commerce est directement responsable de la régulation de l’offre, et non le ministère de l’Intérieur. D’autre part, les spécialistes ont convenu à l’unanimité que la nouvelle loi n’est pas suffisante pour résoudre le problème, surtout s’il est nécessaire d’augmenter les peines infligées en cas de violation de la loi.
Les produits subventionnés et leurs canaux de distribution sont un problème beaucoup plus profond car l’État porte sa part de responsabilité. Par ailleurs, s’attaquer à ce problème, c’est nécessairement s’occuper d’au moins deux grands chantiers dont la Tunisie a cruellement besoin : la réforme du système de subventions et le projet du secteur agricole. Kais Saied ne fait qu’effleurer la surface en essayant d’apporter une réponse purement répressive et sécuritaire. Au mieux, il réussira à mettre les spéculateurs en prison, ce qui est un acquis important. Mais le système qui produit des spéculateurs et promeut le monopole survivra et en produira d’autres.
Cet art de donner les pires réponses possibles à des préoccupations toujours d’actualité s’est également vu au niveau politique. Le président Kais Saied a mis le parti islamiste Ennahda dans son viseur, le rendant responsable de la dégradation de la scène politique et lui attribuant un bilan désastreux depuis la révolution de 2011. Il est partagé par une large frange de la population, ce qui lui vaut un soutien exceptionnel. lorsqu’il a pris les décisions du 25 juillet.
Elle s’est également appuyée sur les manifestations qui ont eu lieu ce jour-là et ciblant plusieurs bureaux régionaux. Cependant, après environ huit mois, le résultat a été plus que mitigé. Les décisions du président de la République ont eu un impact sur la cohésion et l’unification des rangs des islamistes, voire sur le renforcement de leur solidarité sous le mot d’ordre de la lutte contre le putsch.
Il y avait aussi des assignations à résidence qui n’étaient pas efficaces ou avaient l’effet inverse de ce qui était souhaité. Ainsi, l’assignation à résidence du chef du parti, Anouar Maarouf, puis sa destitution, restent aujourd’hui obscures et sans effet. Plus récemment, le placement de Nour al-Din al-Buhairi en résidence surveillée, puis son éloignement, ont permis aux islamistes de bénéficier de ce qu’ils ont décrit comme une victoire sur l’oppresseur, s’attirant ainsi beaucoup de sympathie. Qais Said a commis des erreurs politiques qui ont renforcé ses adversaires.
Le président de la République a également commis une erreur avec l’Union générale tunisienne du travail en lançant des mots très durs à l’encontre de la centrale, qui a pourtant demandé qu’elle ne soit que son alliée. L’UGTT a été très obéissante face au coup d’État qu’elle a effectué le 25 juillet et a été installée par le décret 117 du 22 septembre.
Il s’en est même pris aux partis qui soutiennent sa démarche, les qualifiant d’opportunistes et d’assoiffés de pouvoir. Et malgré sa moquerie des parties en conflit hier et l’opposition à lui aujourd’hui, Qais Saeed réussira à unir la classe politique contre lui, d’Abeer Moussa à Rashid Ghannouchi. Même le Parti populaire, dont certains dirigeants ont écrit de la poésie pour Kais Saied, a du mal à suivre et parle aujourd’hui, à basse voix, du mouvement du 25 juillet qui se poursuivra “même sans président”.