Avez-vous compris le discours de Kaïs Saïed ?

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Kaïs Saïed

Schopenhauer serait encore vivant, il aurait sans doute publié un ouvrage intitulé « L’Art de parler sans rien dire » en plus de ses ouvrages « L’Art d’avoir toujours raison » ou « L’art d’être heureux ». Pour étaler son nouvel ouvrage, le philosophe allemand se serait largement inspiré des différents discours de Kaïs Saïed et particulièrement de son discours du lundi 13 décembre où il n’a réellement parlé que moins de dix minutes, alors que ce discours a duré plus de 38 minutes. .

Kaïs Saïed est passé maître dans l’art de parler sans rien dire, de tourner en rond, de répéter des dizaines de fois les mêmes choses, de dire la chose et son contraire, de lancer des phrases vides de sens et des accusations sans preuves. . Il fait exactement le contraire de ce que font les chefs d’État et de ce qu’on apprend en science politique, à savoir chronométrer son discours pour que chaque phrase ait un sens et que chaque mot ait un message.

Après 38 minutes d’allocution de Kaïs Saïed, qu’avons-nous finalement retenu ?

Il n’a commencé à parler du fond de l’affaire – les nouvelles décisions qu’il a prises – que vers la 28e minute. Pour le reste du discours, Kaïs Saïed a répété ce qui est déjà connu et vilipendé et diabolisé ses opposants, qu’il a qualifiés d’escrocs, de voleurs, d’escrocs et de non-patriotes. Il s’est même demandé si ces adversaires sont de l’espèce humaine.

Dans un arabe qu’il voulait punir, mais en vérité rebutant, le président de la République est revenu sur la période de sa “cohabitation” avec les islamistes avec lesquels les rencontres étaient assimilées à des “séances de torture”. Il est aussi revenu sur sa propre performance puisque, à entendre, il n’y avait que lui qui était à l’origine de l’arrivée des vaccins, de l’oxygène pendant la crise du Covid. “Normalement, le travail que je faisais devait être fait par les responsables du secteur”, précise Kaïs Saïed, oubliant que c’est lui-même qui a nommé l’ancien ministre de la santé.

Se jetant des fleurs et se félicitant, il déclare sans sourciller que grâce à lui, la Tunisie a pu réaliser un record du monde en termes de vaccinations par jour, citant un chiffre jusqu’alors inconnu de 50 000 vaccinations par heure !

Après avoir épinglé les anciens dirigeants, Kaïs Saïed s’en est pris à d’autres composantes de la classe socio-politique tunisienne et toujours sans nommer qui que ce soit distribuant, à sa guise, l’article indéfini « ils ».

Il insulte ainsi Echaâb, qu’il remercie pour ses mensonges après que ses membres aient déclaré avoir participé à l’élaboration des décisions du 25 juillet.

Il s’attaque à Attayar qui a initialement approuvé ses décisions mais s’est ensuite rétracté car ils n’avaient pas les poteaux et les valises, a-t-il déclaré.

Il se moque de l’UGTT qui travaille sur une troisième voie pour lui dire “même fais une quatrième ou une cinquième voie, moi la seule voie que je prends c’est celle du peuple”.

Toujours avec les « ils » de l’indéfini, il parle de valises d’argent entrant de l’étranger et de valises d’argent volé qui en sortaient. Il parle aussi de transfert d’argent. A-t-il voulu insinuer Jawhar Ben Mbarek ? Kaïs Saïed ne cite personne, comme à son habitude, mais il fait référence à des rapports de la Commission tunisienne d’analyse financière (Ctaf, dépendant de la Banque centrale de Tunisie) qui viole visiblement et allègrement son devoir de neutralité ainsi que le secret bancaire.

Il a donc fallu attendre la 28e minute pour que Kaïs Saïed rentre dans le vif du sujet et du calendrier. Une réponse au G7 et à la classe socio-politique qui réclamaient un délai ? On dirait bien, malgré le tacle adressé aux pays du G7 à qui il a dit (encore une fois) que la Tunisie est souveraine et considère tous les pays comme égaux. La France et les Etats-Unis apprécieront ce tact diplomatique.

Kaïs Saïed donne donc ses dates et il faut reconnaître son attachement aux dates symboliques pour établir son propre calendrier. Nous ne dépendons pas de délais précis liés à la faisabilité des choses et à l’efficacité des mesures. L’avenir politique du pays sera ainsi lié à ses festivals.

Pour le lancement de la plateforme de consultation numérique, ce sera le jour de l’an. A noter que le président n’utilisera pas le mot “premier” pour faire référence au 1er janvier comme à son habitude et préfère le mot “fateh” si cher à Mouammar Kadhafi.

Pour la clôture de cette consultation, ce sera le 20 mars, date de la Fête de l’Indépendance. Alors, et ça doit être vraiment scientifique, consulter douze millions de personnes prend exactement deux mois et vingt jours. Ni plus ni moins.

Pour la présentation du projet de révision de la Constitution par référendum, ce sera le 25 juillet 2022, date de la fête de la République et du premier anniversaire du putsch. Quand aura lieu le référendum proprement dit ? Il ne le dit pas.