Décret sur le CSM provisoire : des aberrations à la pelle !

0
760
Décret sur le CSM

Décret sur le CSM

Depuis sa proclamation le 25 juillet 2021, et même bien avant cela, le président Kais Saied est aux commandes de la justice. Une autorité pas une pour lui qu’il s’est toujours efforcé de réduire à un simple service de l’État.

En suspendant le parlement et en abrogeant presque complètement la constitution, Kais Saied s’est emparé de tout ou presque tout le pouvoir. Il se donne le pouvoir de gouverner par décrets présidentiels au nom de mesures exceptionnelles, sous couvert de « danger imminent pour l’intégrité de l’État ». Cependant, jusqu’à il y a quelques jours, il ne pouvait rien faire contre les juges. Leurs parcours professionnels et leurs procédures disciplinaires étaient sous le contrôle du Conseil supérieur de la magistrature. Un organe constitutionnel l’a interpellé jusqu’à ce qu’il ose émettre un avis négatif sur le projet de réconciliation pénale, qui lui tenait beaucoup à cœur et qu’il considérait comme la solution pour débarrasser le pays de la pauvreté, relancer l’économie et favoriser le développement régional !

La solution ultime à ce membre ennuyeux est la dissolution ! Qais Saeed a pris la décision de dissoudre le Conseil judiciaire suprême tard dans la nuit. Une annonce faite par le ministère de l’Intérieur, après minuit. Choix arbitraire ou symbolique ? Peut-être est-ce un choix mûrement réfléchi, puisque le Président de la République a soigneusement choisi ses termes et références…

Cette décision a suscité un vif débat tant au niveau national qu’international. De plus, le G7, l’Union européenne et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme ont réagi rapidement en exprimant leurs inquiétudes. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, est allé plus loin en soulignant que l’Europe était en train d’envisager de mettre fin au versement de l’aide financière totale destinée à la Tunisie.

Face à cette vague d’angoisse, de ressentiment et de rejet, le chef de l’Etat s’est emparé de son arme, filant droit vers la réalisation de son projet. Le Conseil judiciaire suprême provisoire a été créé. A noter que le chef de l’Etat a souligné que sa démarche n’a d’autre objectif que de réformer le secteur judiciaire et d’assainir le pays pour répondre aux revendications du peuple tunisien. Il a également souligné qu’il n’interférerait pas avec la justice et que les juges seraient indépendants dans l’exercice de leurs fonctions.

Cependant, le décret n° 11 publié le dimanche 13 février 2022 dans une édition spéciale du Journal officiel ne rassure pas sur les garanties de l’indépendance judiciaire. Au contraire, elle établit le contrôle de l’exécutif sur le judiciaire. Une autorité non reconnue par le président, bien que précisée dans la constitution. Ce dernier est suspendu, alors sommes-nous face au poisson qui se mord la queue ?

Ainsi, on constate dès la première lecture du décret relatif au Conseil Provisoire de Sécurité, que ce conseil « provisoire » n’a pas de durée déterminée. Ainsi, il peut rester en place pendant des mois ou des années.

Les membres de ce conseil prêtent serment sur la constitution : « Je jure par Dieu Tout-Puissant de préserver l’indépendance du pouvoir judiciaire conformément aux dispositions de la constitution et de la loi, et de travailler avec intégrité et honnêteté, et je m’engage à ne pas divulguer les secrets des délibérations. Mais quelle constitution doivent-ils respecter, la constitution de 2014, ou les deux chapitres conservés sous le décret 117, sur les droits et libertés ? Si la deuxième option est choisie, le droit de grève est garanti conformément au reste de la constitution, mais le décret du NSC révoque le droit de grève des juges.

Si les magistrats de certains pays n’ont pas le droit de contrôler les grèves – en France par exemple – ce décret va plus loin et interdit toute action organisée qui pourrait entraver le bon fonctionnement des tribunaux. En conséquence, les juges n’auront pas le droit de porter le badge rouge ou de surveiller les sit-in, par exemple.

En revanche, le Président de la République aura le droit de nommer neuf membres du Conseil provisoire parmi les magistrats retraités honnêtes, impartiaux et indépendants qui n’exercent aucune autre fonction. Outre le fait que le président nommera plus d’un tiers du conseil, qui est composé de 21 membres, il aura la possibilité de nommer des membres parmi les juges qui n’ont même pas soumis leurs candidatures pour diriger le gouvernement. Ambiance de déjà vu, si l’on se souvient de la nomination d’Elias Fakhfakh et Hashim al-Mashishi au poste de Premier ministre !