La frénésie de consommation
Bien que le pouvoir d’achat ralentisse et que les prix soient élevés, tout est bondé (hôtels, plages, restaurants, salons de thé, cafés, avions, taxis, lieux de divertissement, etc.), certains produits et aliments sont difficiles à trouver ou en rupture de stock. Le constat est simple, les Tunisiens consomment et consomment sans restriction. Comment expliquer cette folie ?
Alors que l’inflation est à son plus haut depuis 31 ans, et que les Tunisiens se plaignent sans cesse de la hausse du coût de la vie, la frénésie de consommation règne partout. Le coût élevé de certains produits et aliments n’empêche pas leur consommation. Certains rayons des supermarchés sont réapprovisionnés plusieurs fois par jour ou se vident à cause de cette folie. Mais comment expliquer cette dualité entre consommation excessive d’un côté et pouvoir d’achat en berne de l’autre ?
Pour répondre à cette question, Business News a contacté des économistes et des universitaires pour tenter d’expliquer ce phénomène.
Ce constat a été confirmé par le docteur en économie, enseignant et chercheur à l’Université de Carthage et le consultant Aram Belhaj. Il a admis dans une déclaration à Business News : “C’est vrai qu’en observant les tunisiens et les familles tunisiennes, on n’a pas l’impression qu’il y a une crise dans le pays”.
Pour lui, c’est le résultat direct de l’inégalité et de l’injustice fiscale. Et d’affirmer que la classe moyenne s’est effondrée à cause d’énormes inégalités : les riches se sont enrichis et les pauvres se sont appauvris.
M. Belhaj a expliqué que trois groupes sociaux et économiques sont impliqués dans ce phénomène.
La première catégorie est celle des riches, dont le pouvoir d’achat permet un accès facile aux biens et services, sans restriction.
La seconde est représentée par une grande partie de la classe moyenne, qui tente de maintenir le même niveau de vie qu’avant, et qui compense la dégradation de son pouvoir d’achat par un recours excessif à l’endettement.
Le troisième est constitué des Tunisiens résidant à l’étranger (TRE) qui ont toujours un meilleur pouvoir d’achat, malgré le coût de la vie plus élevé en Tunisie, car ils sont payés en devises étrangères.
L’économiste propose, pour enrayer la baisse du pouvoir d’achat des classes moyennes, la mise en place d’une taxe sur les actifs immobiliers inutilisés en l’absence d’un impôt sur la fortune pour contrer ces disparités qui pourraient être un axe important de la fiscalité réforme à entreprendre.
De son côté, l’économiste universitaire, consultant et chef d’entreprise Wajdi Bin Rajab voit une grande partie de cette frénésie de consommation constituée principalement de touristes et de TRE de retour au pays, deux composantes fréquemment consommées, et fortes de leur pouvoir d’achat.
Selon lui, les TRE et les touristes sont capables de mener ce train de vie grâce à leur pouvoir d’achat notamment obtenu du fait du dérapage du dinar et de sa parité en berne face à l’euro ou au dollar. Pour lui, ces deux catégories remplissent les hôtels, les avions, les restaurants et les locations de voitures car le coût de la vie en Tunisie est toujours moins cher que leur pays d’origine ou d’accueil.
Un autre aspect que l’économiste a évoqué est le changement de comportement du citoyen tunisien moyen : il adopte désormais la logique de la « cigale » et n’est plus dans la logique de la « fourmi » avant de travailler, d’épargner et d’investir, en référence à la célèbre conte de La Fontaine.
“Aujourd’hui, se rendant compte qu’ils n’ont plus la capacité de faire de gros investissements comme l’achat d’une maison, les Tunisiens se sont tournés vers la consommation pure et dure pour subvenir à leurs besoins et faire comme tout le monde, notamment avec le développement d’Internet et des réseaux sociaux, certains qui se copient, c’est un phénomène d’imitation et de ressemblance.
Et dire que l’économie de la dette occupe une grande place sur la scène et que beaucoup de gens doivent ou empruntent à d’autres personnes ou à des banques ou recourent à acheter facilement pour partir en vacances ou pour consommer. Ces gens sont à l’aise avec l’idée que tout le monde le fait, ils le méritent, et il n’y a aucune raison de s’en priver, a-t-il dit.
“Cependant, c’est un mauvais comportement économique”, a-t-il déclaré dans un communiqué à Business News, “car il y a un équilibre qui doit être maintenu entre ce que nous gagnons et ce que nous dépensons”. Et de préciser qu’il s’agit d’un contexte et d’un aspect social, social et culturel, qui n’est pas spécifique aux Tunisiens mais à l’ensemble des pays du sud de la Méditerranée et des pays en voie de développement.