Obsolescence du référentiel

    0
    565
    Obsolescence

    Obsolescence

    Depuis l’avènement de la culture, remontant aux premières tentatives de gestion de l’état naturel, toutes les sociétés humaines, toutes les civilisations ont fonctionné selon un référentiel structurel. Sans ce cadre de référence, nous aurions commis un « état de nature », que ce soit la paix ou la guerre.

    Un référentiel n’est jamais un point d’ancrage fixe. Il est plutôt en mouvement et témoigne de la volonté collective, elle-même agrégation de volontés individuelles, de créer les conditions de vie les plus paisibles possibles, selon la version optimiste de l’État de Nature. L’ensemble des règles, ordonnances, lois, règles, traditions, us et coutumes qui composent la société constituent un système de références qui influencent les pratiques quotidiennes de chaque individu.

    C’est ce que Pierre Bourdieu appelle l’habitus. C’est la volonté de l’individu d’agir selon tous ces critères. C’est aussi de la servitude émotionnelle comme le dit Spinoza, ou de l’asservissement comme il le dit, rappelons que les individus agissent en fonction de la fatalité des influences ou, plus simplement, des sentiments qui font naître le désir de se transformer. Si à la base de tout désir de changement il y a un domicile (Bordeo) ou un obsequium (Spinoza), il n’en demeure pas moins que la volonté comme instrument de pouvoir contribue à la transformation de la réalité dès lors que la volonté collective s’organise pour démanteler la norme et promouvoir une base plus propice au désir collectif.

    En d’autres termes, toutes les sociétés vivantes procèdent selon deux postulats apparemment contradictoires, où d’une part hepetus ou opcosium et d’autre part le désir de transcender l’ordre établi. Il est admis, selon Spinoza, que cette volonté même est le résultat du déterminisme qui l’a précédée. Dans ces conditions une valeur comme la justice ne peut être atteinte que si les individus se rassemblent et mettent en commun les effets de chacun vers un but commun qui passe par le démantèlement du droit comme le dit Derrida.

    Entre transcendance et assimilation

    Dans la relation d’obéissance, de servitude volontaire, de prestige, de volonté d’une part, et de volonté de transcendance, des référentiels naissent et évoluent. Les référentiels représentent alors l’ensemble des normes réglant la vie d’une société à un moment particulier de son histoire. La volonté collective de la société, elle-même agrégation de volontés individuelles, pousse à l’élaboration de référentiels vers un meilleur « être » collectif. Le degré d’urbanisation de cette société se mesure en respectant les normes et en allant plus loin.

    Une société figée liée par un cadre de référence figé, malgré les changements produits par les individus (changements économiques, politiques et sociaux) ou introduits par des facteurs externes (changements climatiques, géographiques), une telle société figée ne peut être insensible à ces changements. Elle ne peut interagir que selon deux modèles opposés. Le premier modèle est le modèle de la volonté de surmonter et de s’adapter aux changements avec la volonté d’améliorer les conditions d’existence, décrivant ce modèle comme le modèle progressif qui cherche à élargir les possibilités d’existence des individus. Le deuxième modèle est le modèle de la volonté inversée, qui contribue à la régression, à l’assimilation de l’objet qui volontairement réduit son champ d’action par la résistance au changement. Expansion et dépassement d’une part, et contraction et absorption d’autre part.

    Diversité contre monoculture ?

    Tout d’abord, le cadre de référence structurel des sociétés où la volonté de dépassement s’emploie contient des clés susceptibles d’apporter des réponses aux défis posés par les évolutions économiques, politiques, techniques et sociales de ces sociétés. Plus le référentiel est ouvert sur le monde et ses évolutions, plus il y a de clés disponibles pour gérer ces évolutions. Un petit exemple pourrait nous permettre d’en voir un peu plus.

    Si l’on prend l’âge d’or des arts, des lettres et des sciences qu’a connu Bagdad à l’époque du calife Harun al-Rashid (765 – 809), on s’aperçoit que le développement humain, scientifique et artistique de cette période fut le résultat d’une série de influences et convergences.

    Qui a vu la Mésopotamie au fil des siècles. Les influences chinoises, grecques, indiennes et persanes convergent et multiplient ainsi les références et donnent les clés pour comprendre et maîtriser les phénomènes qui régissent la vie citadine. L’apogée et le début du déclin d’une civilisation qui se voulait « un seul monde », selon les mots d’Edward Glisson. La multiplicité des publications et des référentiels a conduit à cet étonnant développement d’une civilisation libérée de la tunique idéologique et théologique de la réforme. Mais aussi le début d’un ralentissement alors que les référentiels se rétrécissaient.